Certains réveils crépusculaires voient naître des réflexions qui détendent et permettent de respirer plus amplement. Au petit matin m’est revenue une citation qui circule sur sur la toile et m’a inspiré ces quelques mots.
« Sous chaque « maladie » se trouve l’interdiction de faire quelque chose que nous désirons ou l’ordre de faire quelque chose que nous ne désirons pas. Toute guérison exige la désobéissance à cet interdit ou à cet ordre. Et pour désobéir, il faut se débarrasser de la peur enfantine de ne plus être aimé, c’est-à-dire abandonné. Cette peur entraîne un manque de conscience : celui qui en est affecté n’a pas conscience de ce qu’il est vraiment, car il essaye d’être ce que les autres attendent qu’il soit. S’il persiste dans cette attitude, il transforme sa beauté intime en maladie. La santé ne se trouve que dans l’authenticité. Pour parvenir à ce que nous sommes, il faut éliminer ce que nous ne sommes pas. Le plus grand bonheur, c’est d’être ce que l’on est. » Alejandro Jodorowsky
Je n’ai pas ni affinités ni connaissance particulière du travail polymorphe de l’auteur, mais ce court texte illustre à merveille ce que peut être une loyauté et me permet de soutenir mon propos d’aujourd’hui. Ah, ces fameuses loyautés… sorte de contrats implicites et immuables qui nous lient, pour le meilleur et pour le pire, à notre famille, nos amis, nos différents groupes d’appartenance, mais aussi à nos choix et valeurs, à nos façons d’interpréter le monde. Car oui, on peut aussi être trop loyal envers soi-même, trop fidèle à une image de soi idéalisée qui mériterait d’être régulièrement actualisée à l’aune de l’assimilation de nos expériences… et de notre honnêteté. Nous pourrions ainsi garder un positionnement rigide alors que la vie demande plutôt une souplesse féline et nous priver du renouvellement de soi, pourtant si vivifiant et porteur ! Vous l’aurez compris, si elles ne sont pas remises en question et rencontrées à la lumière de la conscience, les loyautés peuvent entraver notre évolution. C’est de nos jours largement admis, quand la vie nous est donnée, arrive avec elle un lot de transmissions mémorielles, transgénérationnelles, d’injonctions cachées – pas toujours joyeuses et légères, vous vous en douterez – et ces empreintes vont modeler et colorer notre être-au-monde. Ce sont des ressources ou des verrous qu’il s’agit d’apprendre à reconnaître pour transformer en nous ce qui fait souffrance. En écho à la citation d’ouverture, ce n’est pas seulement la maladie qui doit nous alerter, mais toutes formes de déséquilibre. Tension, inconfort, symptôme ou blocage nous signale un mouvement de vie empêché et qui mérite d’être exploré. Faire lumière sur nos loyautés invisibles limitantes revient à défaire les nœuds qui contrarient le fonctionnement fluide de notre organisme – mental, psychique, émotionnel et physique. Peut-être jusqu’à la fluidité même de notre existence. Imaginez l’énergie de vie comme l’écoulement tranquille d’une rivière… et voilà que d’énormes pierres et troncs d’arbres viennent obstruer le passage de l’eau et modifient son cours naturel. La vie se contracte et restreint nos possibilités d’ajustements créateurs, notre danse avec le « vivant-changeant », s’aliène, se désharmonise, voire s’arrête. Nous ne sommes plus portés et nourris par l’en-vie, notre élan se paralyse et peut même s’éteindre.
Nous traversons tous des périodes où la tempête fait rage, où l’existence nous secoue, où nous perdons pied. Le lit de notre rivière se trouve alors fortement encombré, mais il arrive que ces rochers ne nous appartiennent pas… Cette réflexion improvisée n’a pas pour but de tout mettre sur le dos des loyautés : ce serait facile et nous pourrions nous surprendre assez vite à accuser nos ascendants et lignées de ne pas avoir fait le nécessaire pour nous faciliter le chemin !
Vous le savez, notre fonctionnement psychique et émotionnel est constitué de multiples entrées et de nombreuses formes enchevêtrées. Cette complexité nous invite à mener un travail minutieux et honnête d’enquête et d’observation de soi.
Pour en revenir aux loyautés et pour exemple,
je vois souvent ce « pacte » inconscient de ne jamais dépasser ses parents, de ne pas les trahir d’une certaine manière. S’il est reconnu qu’ils ont eu une vie de dur labeur, on peut suivre leurs pas et se refuser à vivre la réussite et le succès. C’est également vrai dans notre façon d’aborder le lien amoureux, selon ce que nous aurons absorbé de notre environnement familial.
Le schéma initial se répète, contenant dans sa force d’inertie la honte et l’humiliation portées par le système. L’équilibre semble maintenu et rien ne vient remettre en question les « contrats », les loyautés, privant les êtres de leur liberté, au bénéfice de l’illusoire sécurité de l’appartenance.
Quelque chose en nous veut rester fidèle à la tribu d’origine, envers et contre tout… et souvent contre soi. Il est donc précieux et nécessaire de régulièrement se poser les questions suivantes :
« À qui, à quoi suis-je fidèle ? », « Suis-je fidèle à moi-même, à mes valeurs…? ou me suis-je perdu en route pour plaire et ne pas risquer de perdre le lien ? »
Car les loyautés nous collent à la peau et se déclinent dans tous les espaces de notre vie.
Se libérer de ces chaînes passe par une forme de transgression des règles tacites, car il s’agit d’assumer sa différence, sa singularité et d’accepter de ne plus répondre au projet que les autres ont sur nous. En acceptant de décevoir, on s’affranchit de l’ancien et cela déblaye l’espace pour construire une forme nouvelle. C’est alors que le Vilain Petit Canard peut découvrir le magnifique cygne qu’il est devenu.
Ajustez donc votre loupe de Sherlock Holmes…
Sur votre chemin de conscience et de liberté, il est temps de mettre de l’ordre dans vos loyautés !
PS Bonus : Pour un éclairage supplémentaire, je vous invite à regarder cet échange passionnant entre Arouna Lipschitz et Nadiejda Charova, heureusement nommé « Du bon usage de l’infidélité. »
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